La Cour européenne des droits de l’Homme, nouvel acteur de la justice climatique (2024)

La Cour européenne des droits de l’Homme, nouvel acteur de la justice climatique (1)

Par un arrêt du 9 avril 2024, la Cour européenne a, pour la première fois de son histoire, condamné un État membre du Conseil de l’Europe – la Suisse – pour insuffisance de sa politique climatique. Dans cette décision, qui revêt les atours d’un grand arrêt, la Cour livre un véritable mode d’emploi de la Convention européenne en matière climatique. Elle offre, à cette occasion, des réflexions essentielles sur l’office du juge en la matière, la justice intergénérationnelle, la complexité de la transition écologique et sur la spécificité des affaires climatiques par rapport aux affaires environnementales. Un arrêt historique qui marque un nouveau jalon dans la justice climatique.

CEDH, gde ch., 9avr.2024, no53600/20, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et a. c/Suisse

Pour la première fois de son histoire, la Cour européenne s’est prononcée sur le changement climatique, par trois décisions rendues en grande chambre, le 9avril 2024. Si, dans les deux premières affaires –Carême et Duarte Agostinho1– les requêtes sont déclarées irrecevables, dans la troisième –Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres– en revanche, la Cour condamne, de manière historique2, un État membre du Conseil de l’Europe –la Suisse– pour insuffisance de sa politique climatique3. En l’espèce, la Cour a été saisie par une requête introduite par quatre femmes et l’association Les Aînées pour la protection du climat qui a été créée pour promouvoir et mettre en œuvre des mesures effectives de protection du climat pour ses membres, principalement des femmes de plus de 70ans. Les requérantes ont allégué que les autorités suisses n’avaient pas pris des mesures suffisantes pour atténuer le changement climatique, les exposant à des risques majeurs de morbidité et de mortalité, en méconnaissance de la Convention européenne. Dans un bel arrêt, d’une longueur exceptionnelle, la Cour a fait droit à la demande de l’association et constaté une violation des articles8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et6 paragraphe1 (droit à un procès équitable) de la Convention. Dans une première partie d’une grande richesse, la Cour dresse un panorama impressionnant du cadre juridique et des enjeux posés par le changement climatique, tant au regard des données scientifiques –les rapports duGIEC yoccupent une place de choix4– que des textes internationaux et européens et de la jurisprudence rendue en matière climatique. Dans uneseconde partie, à la fois pédagogique et dense, la Cour détaille les raisons impérieuses qui justifient de faire évoluer son interprétation de la Convention –instrument vivant– afin de prendre en compte au mieux les défis, à la fois majeurs et spécifiques, posés par le changement climatique5. La Cour livre ici un véritable mode d’emploi de la Convention en matière climatique. Elle offre, à cette occasion, des réflexions fortes sur l’office du juge en la matière, la justice intergénérationnelle, la complexité de la transition écologique et sur la spécificité des affaires climatiques par rapport aux affaires environnementales, ce dernier point constituant le fil rouge de la décision. Indéniablement, l’arrêt commenté a les atours d’un grand arrêt et ce, d’autant plus qu’il apporte des réponses à des questionnements essentiels, concernant la recevabilité de l’action en insuffisance de la politique climatique(I) et son bien-fondé(II).

I– La recevabilité de l’action

Selon la Cour, les effets néfastes du changement climatique étant de nature intrinsèquement collective, le point de savoir qui peut, dans ce contexte, chercher à obtenir une protection judiciaire sur le fondement de la Convention ne revient pas à rechercher simplement qui peut saisir la justice, mais soulève des questions plus vastes touchant à la séparation des pouvoirs et, en particulier, à l’articulation du rôle du juge et du législateur. En d’autres termes, la recevabilité de l’action suppose de s’arrêter tour à tour sur la compétence du juge(A) et sur la qualité à agir de la victime(B).

A– La compétence du juge

Avant de s’affirmer comme nouvel acteur de la justice climatique, la Cour prend soin de justifier son rôle et sa légitimité à intervenir dans ce domaine. Dans cette perspective, elle aborde la question de l’articulation de l’intervention du législateur et de celle du juge en matière climatique. Àcet égard, elle livre une réflexion stimulante sur la répartition des pouvoirs entre le politique et le juge. D’un côté, il incombe au législateur, selon la Cour, d’adopter les mesures de lutte contre le changement climatique et ses effets néfastes; ces mesures dépendent ainsi du «processus décisionnel démocratique»6. D’un autre côté, le juge se voit confier un rôle «complémentaire à ces processus démocratiques»7: il lui appartient de contrôler la conformité des mesures adoptées par le législateur avec les exigences légales8. Et la Cour justifie ce contrôle de l’action du législateur, au minimum à l’aune de trois considérations. Tout d’abord, la Cour insiste sur la complexité de la tâche dévolue au législateur. Cette complexité tient au fait que les mesures d’atténuation ne peuvent être localisées ou limitées à des installations spécifiques. En effet, le changement climatique est «un phénomène polycentrique»9. Les principales sources d’émission de gaz à effet de serre(GES) correspondent à des activités de base des sociétés humaines (transport, énergie, logement, construction, agriculture). La décarbonation des systèmes économiques et des modes de vie passe donc par la transformation complète et profonde d’une multitude de secteurs, à la faveur de «politiques normatives complètes»10. De ce point de vue, la Cour européenne montre, avec raison, que la difficile «transition verte»11 suppose en réalité, bien plus qu’une transition, une véritable transformation de nos modèles économiques. En effet, les émissions de gaz à effet de serre procèdent, au premier chef, d’un modèle économique reposant sur l’exploitation des ressources carbonées. C’est donc tout notre modèle d’affaire qu’il faut repenser et redéfinir.

Ensuite, ce contrôle juridictionnel s’arrime au constat de la Cour de l’insuffisance, largement reconnue, de l’action passée des États pour lutter contre le changement climatique, qui se traduit par une aggravation des conséquences négatives et des menaces qui en découlent pour la jouissance des droits de l’Homme12. Le constat de cette insuffisance ne peut guère être contesté. Cette insuffisance, soulignée par les scientifiques dans les rapports duGIEC13, provoque en retour une explosion du contentieux climatique. En particulier, on assiste à une multiplication des recours exercés par la société civile (personnes physiques, associations, communes, etc.) contre les États14, en vue de les contraindre à mettre en œuvre les objectifs climatiques gravés dans les textes, et notamment dans l’Accord de Paris15. En Europe, la célèbre affaire Urgenda a marqué un tournant16. Ainsi, par une décision du 20décembre 2019, la Cour suprême des Pays-Bas a enjoint à l’État néerlandais de réduire ses émissions de gaz à effet de serre17. Elle a ensuite été suivie par le Conseil d’État français qui, dans un arrêt du 19novembre 2020, rendu dans l’affaire GrandeSynthe18, a enjoint à l’État français, à la demande de cette commune littorale du Dunkerquois fortement exposée aux conséquences du changement climatique, de se conformer à la trajectoire de baisse des émissions, dont les étapes sont précisées dans les lois en vigueur. Puis, l’année suivante, deux décisions ont reconnu l’insuffisance de l’action climatique des États allemand19 et belge20. Dans la décision commentée, la Cour s’érige, à son tour, en contrôleur de la politique climatique des États. C’est dire que, désormais, les États n’auront plus seulement à redouter un contrôle de leur politique climatique par leurs juridictions nationales. Ils devront encore compter avec celui que la Cour européenne pourra être amenée à réaliser.

Enfin, la Cour justifie ce contrôle juridictionnel de la politique climatique en insistant sur le fait que les politiques de lutte contre le changement climatique posent des questions de répartition intergénérationnelle de l’effort entre les générations présentes et les générations futures21: «Les générations futures risquent de supporter le fardeau croissant des conséquences des manquements et omissions d’aujourd’hui dans la lutte contre le changement climatique»22. Or, souligne-t-elle, les générations futures «n’ont nulle possibilité de participer aux processus décisionnels actuels en la matière»23. Selon la Cour, le risque de courttermisme de la décision politique –c’est-à-dire qu’elle se préoccupe essentiellement d’intérêts et d’enjeux à court terme, et non de la répartition intergénérationnelle de l’effort– justifie d’autant plus de la soumettre à un contrôle juridictionnel. Cette prise en considération des générations futures résonne avec plusieurs décisions récentes. Au premier chef, elle évoque celle rendue par la Cour constitutionnelle allemande, le 24mars 2021. Saisie d’un recours contre des dispositions de la loi fédérale du 12décembre 2019 sur le changement climatique, la Cour constitutionnelle a retenu que le devoir de protection imposé à l’État par l’article20, a, de la loi fondamentale allemande incluait «le devoir de protéger la vie et la santé humaine contre les dangers émanant du changement climatique» et pouvait «donner lieu à un devoir de protection objectif même envers des générations futures»24. Elle fait également écho à la récente décision du Conseil constitutionnel du 27octobre 2023 qui a mobilisé la considération des générations futures dans leurs besoins et leur liberté, à travers un contrôle de la réversibilité des choix effectués par les générations présentes25. On voit ici la circulation des concepts et des arguments dans les contentieux climatiques. Les décisions des juridictions nationales ont été une source d’inspiration pour la Cour européenne. Et, réciproquement, la décision commentée constituera, à n’en pas douter, un modèle pour les juridictions nationales et internationales.

Après avoir affirmé sa compétence à contrôler la politique climatique des États, la Cour a recherché si les requérantes étaient recevables à agir.

B– La qualité à agir

Pour être recevable à agir, le requérant doit avoir le statut de victime au sens de l’article34 de la Convention. Selon la Cour, cette qualité constitue l’un des aspects essentiels dans les affaires de changement climatique, car il n’est pas aisé d’établir un lien de causalité direct entre les effets néfastes du changement climatique et la situation personnelle du requérant. En l’espèce, la Cour se livre à une interprétation évolutive de cette disposition. Elle opère une distinction entre la qualité de victime des individus et celle des associations.

S’agissant de la qualité de victime des individus, la cour admet d’emblée qu’il peut exister un lien de causalité juridique entre des actes ou des omissions de l’État (provoquant le changement climatique ou s’abstenant d’yremédier) et le dommage subi par les individus26. Mais la difficulté ici tient au fait que le changement climatique a une dimension collective: tout un chacun est susceptible d’être touché par les effets néfastes du changement climatique. Or, l’actio popularis, c’est-à-dire l’action exercée dans l’intérêt de tous, n’est pas admise devant la Cour européenne. C’est pourquoi celle-ci a été contrainte de poser des critères, afin de restreindre la qualité à agir des individus. En l’occurrence, elle décide que le requérant doit avoir été personnellement et directement touché par les manquements supposés de l’État dans la lutte contre le changement climatique27. Cette condition est particulièrement exigeante. La Cour précise, en effet, que la situation du requérant doit se caractériser, d’une part, par une exposition intense aux effets néfastes du changement climatique, et d’autre part, par un besoin impérieux de protection28. Ces conditions sévères sont de nature à fermer l’action aux requérants personnes physiques. Dans l’arrêt commenté, précisément, l’action des requérantes personnes physiques a été déclarée irrecevable. Pour la Cour, le fait qu’elles appartiennent à une catégorie vulnérable au changement climatique ne suffit pas à démontrer que ces conditions sont satisfaites. Dans l’arrêt Carême contre France rendu le même jour, la Cour européenne a pareillement jugé que Damien Carême, ancien maire de la commune de Grande-Synthe, n’avait pas qualité à agir, compte tenu du caractère hypothétique du risque lié au changement climatique à son égard29.

Cette restriction de la qualité à agir des personnes physiques est contrebalancée par une souplesse dans l’appréciation de la recevabilité de l’action des associations. La Cour fait ici évoluer sa jurisprudence. Traditionnellement, la Cour n’accorde pas la qualité de victime à une association, en l’absence de mesure la touchant directement, quand bien même les intérêts de ses membres seraient en jeu, sauf considérations spéciales30. Or, selon la Cour, ces considérations spéciales sont de mise en matière climatique. En effet, elle indique que le recours aux associations est parfois le seul moyen dont les individus disposent pour défendre leurs intérêts particuliers31. La Cour note encore, au regard notamment de la convention d’Aarhus32, l’importance des recours exercés par des associations, dès lors que le changement climatique est une préoccupation commune pour l’humanité tout entière et que la répartition de l’effort entre les générations revêt une importance particulière33. Pour la Cour, ces considérations particulières militent en faveur de l’octroi aux associations de la qualité à agir dans les contentieux climatiques34. Là encore, la Cour fixe des critères, mais au fond assez classiques, pour exclure l’actio popularis: l’association doit être légalement constituée, poursuivre un but spécifique, être représentative et habilitée à agir pour le compte de ses adhérents35. En l’espèce, la Cour a estimé que l’association requérante de droit suisse, comptant plus de2000adhérentes et créée pour défendre ses membres contre les effets du changement climatique, remplissait ces conditions36.

La recevabilité de l’action de l’association étant admise, il restait à la Cour à examiner le bien-fondé de celle-ci.

II– Le bien-fondé de l’action

La Cour européenne condamne la Suisse, pour violation des articles6, paragraphe1, et8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, eu égard à l’insuffisance de sa politique climatique. Il convient de s’arrêter sur le sens de cette condamnation(A) et sur sa portée(B).

A– Le sens de la condamnation

La Cour retient que la Suisse a méconnu le droit d’accès à un tribunal de l’association requérante, garanti par l’article6, paragraphe1, puisqu’aucune juridiction saisie ne s’est prononcée sur la substance de ses griefs. Surtout, elle juge que l’article8 de la Convention européenne relatif à la vie privée et familiale a été violé. Àcet égard, la décision commentée contient deux enseignements importants: d’une part, elle intègre la matière environnementale au sein de l’article8 de la Convention européenne; d’autre part, elle délimite les obligations positives incombant aux États en matière climatique.

Tout d’abord, la Cour européenne étend le champ de la protection assurée par l’article8 à la matière climatique. De longue date, certes, elle admet que le champ de la protection conférée par l’article8 s’étend aux effets négatifs des dommages environnementaux d’origines diverses sur la santé, le bien-être et la qualité de vie des personnes37. Cependant, pour la Cour, la matière climatique présente des particularités qui la distinguent de la matière environnementale38. La Cour note, en effet, que les questions posées par le changement climatique sont «inédites»39, notamment parce que le lien de causalité est plus diffus que dans l’hypothèse d’une pollution dommageable40.

Cette spécificité de la matière climatique conduit la Cour à livrer une nouvelle interprétation de l’article8 de la Convention. Elle énonce qu’eu égard au lien de causalité entre, d’une part, les actions et/ou omissions de l’État en matière de changement climatique et, d’autre part, le dommage ou risque de dommage touchant des individus41, l’article8 «doit être considéré comme englobant un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie»42. Dit autrement, la Cour consacre un droit pour les individus à une protection effective, par les autorités de l’État, contre les effets néfastes graves du changement climatique sur leur vie, leur santé, leur bien-être. C’est la première fois qu’elle affirme un tel droit. Ce faisant, elle consolide le lien établi entre les enjeux liés au changement climatique et les droits fondamentaux, dans le droit fil des décisions rendues dans les affaires Urgenda43 ou Klimaatzaak contre Royaume de Belgique44 ou par la Cour constitutionnelle allemande45. Bien plus, elle met ainsi à la charge des États des obligations positives de protection. Mais, en application du principe de subsidiarité, la Cour estime que les États bénéficient d’une marge d’appréciation en la matière, tout en opérant une distinction quant à l’étendue de celle-ci. D’un côté, elle estime que la marge d’appréciation est réduite quant à la fixation des buts et objectifs globaux pour lutter contre le changement climatique et ses effets néfastes. Elle justifie cette réduction de la marge d’appréciation au regard de l’objectif primordial que constitue une protection effective du climat par la fixation d’objectifs de réduction des émissions deGES, conformément aux engagements pris par les parties contractantes dans le cadre de l’Accord de Paris en matière de neutralité carbone46. D’un autre côté, elle énonce que la marge d’appréciation des États est ample quant aux moyens propres à atteindre ces objectifs47.

Quel est, plus précisément, le contenu des obligations positives incombant à l’État? Selon la Cour, le «devoir primordial de l’État est d’adopter, et d’appliquer effectivement et concrètement, une réglementation et des mesures aptes à atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, du changement climatique»48. La Cour précise encore que cette réglementation doit prévenir une augmentation des concentrations desGES dans l’atmosphère et une élévation des températures qui pourraient avoir des conséquences «graves et irréversibles sur les droits de l’Homme, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que du domicile garanti par l’article8 de la Convention»49. Mais la Cour ne s’arrête pas à l’énoncé de ce devoir général d’adoption et de mise en œuvre d’une réglementation de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Elle identifie, de manière très détaillée, les obligations positives des États, en déclinant cinqobligations50:

• premièrement, l’État doit adopter des mesures générales précisant le calendrier à respecter pour parvenir à la neutralité carbone, ainsi que le budget carbone total restant pour la période en question, ou toute autre méthode équivalente de quantification des futures émissions de GES ;

• deuxièmement, l’État doit fixer des objectifs et trajectoires intermédiaires de réduction des émissions deGES;

• troisièmement, l’État doit fournir des informations montrant que les objectifs ont été respectés ou sont en voie de l’être;

• quatrièmement, l’État doit actualiser les objectifs pertinents de réduction des émissions deGES;

• cinquièmement, il doit agir en temps utile et de manière appropriée et cohérente dans l’élaboration et la mise en œuvre de la législation et des mesures pertinentes.

Il s’évince de cette liste d’obligations positives que la marge d’appréciation des États quant aux moyens, censée être ample, se révèle finalement, à l’examen, assez étroite. L’État doit, dans sa réglementation, fixer une trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, un calendrier, des objectifs intermédiaires et un budget carbone51. Elle attache une importance particulière à la quantification du carbone, laquelle est mentionnée à plusieurs reprises dans la décision, étant rappelé que leGIEC souligne l’importance de tels budgets. En l’espèce, la Cour considère que la Suisse a manqué aux obligations positives qui lui incombaient, en raison des graves lacunes de son cadre réglementaire: elle n’a pas atteint ses objectifs passés de réduction des gaz à effet de serre, aucun objectif n’a été fixé pour la période 2025-2030 et elle n’a pris aucune mesure pour quantifier son budget carbone restant52. En conséquence, la Cour constate une violation de l’article8 de la Convention.

Quelles seront les conséquences de cette condamnation?

B– La portée de la condamnation

Comme toute décision de la Cour européenne, l’arrêt commenté est obligatoire53. Par conséquent, la Suisse doit adopter et mettre en œuvre une trajectoire climatique répondant aux exigences posées par la Cour européenne, sous le contrôle du conseil des ministres54. Certes, la Cour ne détaille pas les mesures à adopter. Celles-ci entrent dans la marge nationale d’appréciation. Mais le chemin tracé par la Cour reste, on l’a vu, relativement contraignant. Et la Suisse est maintenant avertie que la Cour veillera avec intransigeance à ce que les mesures adoptées satisfassent à sa grille d’évaluation.

Mais l’effet de la décision dépasse bien évidemment le cas particulier de la Suisse. Cette décision sonne comme un coup de semonce pour les États membres du Conseil de l’Europe qui sont désormais susceptibles de se voir rappelés à l’ordre par la Cour européenne, du fait de l’insuffisance de leur politique climatique. Au-delà de l’Europe, cette décision pourrait influer la Cour Internationale de justice et la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, qui devraient prochainement se prononcer sur les obligations des États en matière de changement climatique, et ce alors que le tribunal international du droit de la mer vient de conclure, dans un avis consultatif, à une obligation des États de protéger et de préserver les océans des effets du changement climatique55.

Bien davantage, cette décision invite à s’interroger plus largement sur la question de savoir si des obligations positives pourraient être mises à la charge des entreprises. Par une décision du 26mai 2021, le tribunal du district de LaHaye a jeté les premières bases d’une responsabilité des entreprises en matière de changement climatique. Elle a ainsi enjoint à la compagnie pétrolière Royal Dutch Shell de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, sur le fondement d’un standard of care56. Cette décision pourrait-elle inviter la Cour européenne à s’engager dans cette voie? La question reste ouverte. Mais il est certain que la Cour entend désormais jouer un rôle subsidiaire, et néanmoins majeur, en matière de changement climatique.

La Cour européenne des droits de l’Homme, nouvel acteur de la justice climatique (2024)

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